La petite madeleine de Marie-Victoire: Rata de marin

cvapitaine-lmivreUn printemps très gris et pluvieux, un vent du nord qui souffle à rendre fou (les autochtones devraient l’appeler mistral, mais ils ne sont pas de ce coin là) : c’est le moment de lire ou relire les classiques qui turbinent à coup de deux mille pages sinon rien. J’ai jeté mon dévolu sur un pavé maritime, archiconnu m’a-t-on dit au creux de l’oreille, alors j’ai fait confiance. Et j’ai eu le mal de mer en participant aux manœuvres, mal au corps en vivant les scènes de combat naval et surtout mal à l’estomac en imaginant le rata des marins et des officiers de la marine à voile au début du XVIIIè siècle. Après sept ou huit mois de mer, l’eau est fétide, la nourriture salée, rance, et monotone.
 
[…] Sur le gaillard d’arrière, la ligne des officiers se rompit. Gerad, deuxième lieutenant, releva Bush [le second]. Le bateau ressemblait à une mosaïque magique : il formait un dessin géométrique ; quelqu’un brouillait tout, et à l’instant un nouveau dessin ordonné se recomposait.
Hornblower [le capitaine de la Lydia, navire de guerre] descendit dans sa cabine où Polwheal avait préparé son déjeuner.
–          Café, Monsieur, dit Polwheal, et burgoo.
Hornblower se mit à table ; après sept mois en mer, toutes les bonnes choses étaient mangées depuis longtemps. Le café était de l’extrait de pain brûlé, et tout ce que l’on pouvait dire en sa faveur, c’est qu’il était sucré et chaud. Le burgoo était une pâtée salée d’apparence innommable, composée de miettes de biscuits écrasés et de boeuf salé et haché. Hornblower mangeait distraitement. De sa main gauche, il tapait un biscuit sur la table afin de persuader les charançons de l’abandonner avant l’instant où il aurait fini son burgoo.
Tandis qu’il mangeait, les bruits du bateau l’environnait. […] Hornblower termina son burgoo et se prépara à manger le biscuit qu’il avait tapé sur la table. Il le regarda sans bienveillance, mais sans colère ; c’était une nourriture bien maigre pour un homme, et en l’absence de beurre – le dernier tonneau avait ranci le mois précédent – il lui faudrait arroser chaque bouchée si sèche d’une petite gorgée de café de pain brûlé. Mais avant qu’il ait pu y mettre la dent, un cri frénétique le fit rester immobile, le biscuit à mi-chemin de la bouche.
–          Terre ! entendit-il. Holà du pont ! Terre à deux quarts par bâbord !

« Capitaine Hornblower, Trésor de guerre » de C.S Forrester

Marie-Victoire Bergot. laradiodugout.fr