La petite madeleine de Marie-Victoire: Soupe de bottes

C’est une histoire des antipodes aussi délicieuse qu’authentique. Nous sommes en 1867, les Anglais n’en finissent pas de conquérir le monde. Ils entraînent soutanes et cornettes dans leur sillage, jusqu’aux îles merveilleuses du Pacifique sud.

Ce qu'il reste de Thomas Baker : une semelle de bottes avec des traces de dents

Ce qu'il reste de Thomas Baker : une semelle de bottes avec des traces de dents

Le révérend Thomas Baker, missionnaire aussi méthodiste que britannique, débarque à Viti Levu, l’une des très nombreuses îles de l’archipel des Fidji, accompagné de huit compères. Ils ont dans l’idée de convaincre les étranges autochtones de s’habiller, faire allégeance à reine Victoria et cesser de manger leurs voisins. Sûr de son bon droit, Thomas Baker se rend au village de Nabutatau, se présente au chef Nawawabalavu et touche un peigne de la coiffure dudit chef. Or cette tête là, entre toutes les têtes, est taboue. La provocation est inacceptable. Les Fidjiens voient rouge et se saisissent illico des visiteurs. Paf ! un coup derrière la tête. Hop ! au court bouillon dans la marmite.

Occis, dépecés, assaisonnés et mitonnés, voilà nos amis dévorés par les convives mâles du village. Afin de ne rien gâcher, les Fidjiens s’attaquent aussi au paletot, au chapeau, aux bottes et jusqu’aux lacets de l’irrévérencieux père Baker. Précisons que le maître queue a longuement réfléchi avant de s’attaquer à la cuisson des accessoires, et des bottes en particulier. Euréka ! Ce sera en soupe : du bélé (les épinards locaux), des herbes, les bottes entières, et c’est parti, ça mijote pendant une semaine. Peine perdue, les bottes sont restées dures comme de la brique, et immangeables. (L’une d’elle est exposée au musée des Fidji à Suva.)

Quelques 136 années plus tard, les descendants des protagonistes se sont retrouvés pour un rituel de réconciliation. Le festin de 1867 portait peine aux villageois, convaincus que toutes les difficultés du moment (enclavement, absence d’équipements médicaux, jeunesse oisive et camée, etc.) étaient la suite logique de ces malencontreuses ripailles. Le rituel aura duré un mois, avec forces cérémonies, et cadeaux inestimables faits aux descendants de Thomas Baker, désormais établis en Australie. C’était il y a dix ans… comment va Nabutatau aujourd’hui ? Si vous le savez, s’il vous plaît racontez le moi.

Marie-Victoire Bergot pour laradiodugout.fr

3 Responses

  1. Michèle dit :

    j’espère que parmi les précieux cadeaux, ils leurs ont offert… des bottes, aux descendants 😉
    bon, en effet je ne retiendrais pas la recette, je suis au cru en ce moment, et comme chacun sait, la cuisson détruit la plupart des nutriments, surtout si ça cuit pendant une semaine 🙂
    bises

  2. Anne dit :

    « Je suis persuadé que s’il ne restait que deux hommes au monde, le plus fort n’hésiterait pas une minute, à défaut de suif pour frotter ses bottes, à tuer son unique compagnon afin d’en prendre la graisse. »
    Arthur Schopenhauer 🙂 quelle drôle de réponse anachronique 🙂

  3. LAOUENAN dit :

    Quelle belle histoire… exotique, tragique et ma foi nostalgique !