Le goût perdu de la Birmanie

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MiMi Aye en cuisine ©DR

MiMi Aye en cuisine ©DR

Exilée en Europe, la journaliste birmane MiMi Aye a voulu se réconforter en préparant un plat populaire de son enfance, raconte « Courrier international « dans son dernier numéro . « C’est le premier plat que j’ai appris à faire parce qu’il ne nécessite aucune cuisson. Il suffit de mélanger les feuilles de thé avec un a-kyaw, un beignet à base d’ail frit, de gros haricots, de pois cassés jaunes, de cacahuètes grillées et de graines de sésame. Un filet d’huile, un peu de sauce de poisson, et le déjeuner est prêt ». Mais les ingrédients locaux essentiels pour retrouver le goût authentique de ce plat traditionnel manquent à Londres car la junte, après le coup d’Etat, a encore réduit les vols longs courriers avec l’Europe… et tout la ramène à son pays déchiré et exsangue

lahpet-thoke-fermented-tea-leaf-salad ©DR

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« Mon laphet thote  -qui a une énorme importance politique,  religieuse et culturelle en Birmanie et qu’on grignote là-bas à toute heure de la journée -, était immangeable. Le pays et la cuisine que j’adorais étaient en train de m’échapper ». Ce plat polyvalent qu’on trouve sur la plupart des tables en Birmanie,  composé d’une salade de feuilles de thé marinées, est un repas  roboratif quand il est accompagné d’un bon bol de riz blanc, ou un dessert qui nettoie le palais quand on le prend avec du thé chinois fraîchement infusé. Les royaumes en guerre s’en servaient mutuellement en signe de paix, on en consommait pour signifier qu’on acceptait le jugement du tribunal lors de l’époque pré-coloniale. Et on en sert aux invités lors des mariages (le mien inclus) », tient-elle à préciser.
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L’autrice du livre de cuisine « Mandalay »(*) (publié en 2019 et inédit en France, NDLR. Voir article de la rubrique LIVRES) – dont la nourriture a très souvent servi « de baume aux blessures de son âme », a également perdu l’appétit depuis le coup d’Etat du ler février qui a plongé et régressé son pays natal plusieurs décennies en arrière ; mais elle nous explique avec un zeste d’humour que « jouer du mortier et du pilon et hacher furieusement de temps en temps, c’est très thérapeutique ».. Inquiète, voire angoissée après le récent coup d’Etat de la junte, elle s’interroge : « Quand dégusterai-je à nouveau les plats des vendeurs ambulants et des étals de rue qui ont nourri à la fois mon corps et mon esprit au fil des ans. Quand connaitrais-je à nouveau cette impression familière d’appartenir à une communauté, impression qui transforme routes et bâtiments en visages amicaux, arômes délicieux et goûts réconfortants ? »
Depuis ce coup de force illégal et ses sanglants effets collatéraux, notre consoeur birmane MiMi Aye se demande souvent ce que sont devenus tous ces cuisiniers et marchands ambulants qu’elle a connus et avec qui elle a mangés au cours de l’année qu’elle a passé à voyager là-bas avec Kelly McNamara pour alimenter en histoires gourmandes et vécues son site Internet The Kite Tales.
cuisine birmane ©DR

cuisine birmane ©The Kite Tales

 

À quand le nouveau plat politique concocté en Birmanie et qui inclut tout le monde sans exception ?
Christian Duteil/La Radio du Goût/Thin Lei Win/  juin 2021
(*) Mandalay est un poème de Rudyard Kipling écrit et publié en 1890 dans le journal Scots Observer. Il est ensuite repris dans un recueil de poèmes publié en 1892 sous le titre Barrack-Room Ballads, and Other Verses. Le cadre du poème est la Birmanie, qui appartient alors à l’empire colonial britannique ; il narre à la première personne du singulier les sentiments d’un soldat qui est de retour à Londres et qui évoque avec nostalgie son séjour en Birmanie et le souvenir de son amante restée sur place.