Ne l’appelez plus jamais Patate !

Ça commence comme un sketch de Raymond Devos : « Figurez-vous, Mesdames et Messieurs, que l’autre jour j’ai rencontré Agata, Charlotte, Annabelle et une autre dénommée Chérie en toute simplicité… Ébloui, subjugué,  sous le joug de l’émotion, je me suis arrêté de compter sur les doigts d’une seule main car, Mesdames et Messieurs, ce n’est pas bien de montrer du doigt. Alors pensez donc, montrer d’une main complète pleine de doigts…

Vous l’avez deviné : la pomme de terre que l’on rencontre sous différentes variétés, là haut, au Nord de la Picardie, au dessus de l’Artois, dans les fausses plaines des Flandres à proximité du Mont-Cassel et ses 176 mètres d’altitude et du Mont des Récollets, à peine moins haut. Il y a plusieurs monts dans les Flandres françaises (mais aussi belges) à tel point qu’il était question il y a une quinzaine d’années d’un parc naturel régional des Monts de Flandre-Val de Lys.  Au delà de la topographie des lieux, il y a une vraie culture pour qui aime les moulins et ce vent qui fait ondoyer les blés,  le  houblon haut perché qui donne son amertume à des bières étonnantes qui faisaient le bonheur et le verbe haut de Raoul de Godewaersvelde et des Capenoules.

Le beffroi de Bergues

Le beffroi de Bergues

Flandre de l’histoire des hommes, Cassel est indissociable du Maréchal Foch et de la Première Guerre mondiale mais c’est aussi le pays où vécut à Saint-Jans-Cappel, Marguerite Yourcenar, première femme élue à l’Académie française en 1980. Lire Archives du Nord qu’elle publia en 1977 chez Gallimard c’est entrer de plain pied dans l’univers feutré de la haute bourgeoisie bailleuloise  à la table des Cleenewerck de Crayencour.

Mais revenons à  la pomme de terre qui n’est plus une simple patate car le consommateur a désormais l’embarras du choix.  A la question : quelles variétés de pomme de terre connaissez-vous ? Sa première réponse risque fort d’être la Bintje, c’est ce que répond d’ailleurs Pierre Perret dans le film de Claude Autant-Lara :  Les patates.  – « Moi celle que je préfère c’est la Bintje ».  Variété ancienne d’origine hollandaise, c’est la reine des pommes de terre mais surtout pour les amoureux de la frite.

L'affiche du film de Claude Autant-Lara

L’affiche du film de Claude Autant-Lara

 

Car aujourd’hui, le concept de pomme de terre de ménage ou de consommation a du plomb dans l’aile. On consomme, parait-il, autant sinon plus de pommes de terre que jadis mais on fait la fine bouche :  on choisit une variété en fonction de ce que l’on va préparer en cuisine.  Et si les surgelés, les flocons, produits transformés ou plats préparés font parties de notre quotidien, la plupart des ménages ont toujours une réserve de pommes de terre au frais. D’autant que les temps ont changé, La pomme de terre du XXI° siècle a fière allure, elle est lavée et propre sur elle.

Pour obtenir les meilleures frites, on optera pour une pomme de terre à chair farineuse. A la Bintje que l’on peine parfois à trouver, s’associent la Victoria, L’Artémis ou encore l’Excellency. Pommes de terre de jolie taille, cela fait des frites longues, au taux de matière sèche élevé et qui ne noircissent pas à la friture.  Encore faut-il savoir faire des frites. Pour les gens du Nord : gras de bœuf et cuites en deux bains.  On plonge les frites dans un premier bain après avoir vérifié sa température à l’aide d’une frite-témoin. On dit sans humour que le bain est moussant. Au bout de quelques minutes de cuisson, on relèvera le panier pour bien égoutter les frites. Cela permet au bain de souffler un peu et de reprendre de la vigueur, les frites sont ensuite replongées jusqu’à la fin de la cuisson.  Il y a quelques années, le gras de bœuf était tombé dans l’oubli, on lui préférait des huiles plus modernes, prétendues sans odeur ou des matières grasses à base d’huile de coco hydrogénée et d’huile de palme qui ont l’avantage de se figer à température ambiante – ce que faisait aussi le gras de bœuf -.  Aujourd’hui le gras de bœuf (ou Blanc de bœuf) considéré comme un produit de terroir régional amorce son grand retour. Et c’est tant mieux.

Quelques pommes vapeur parsemées de persil sont un régal encadrant  une sole meunière que revigore un léger trait de citron jaune (le citron vert c’est pour l’apéro…).  L’Amandine, la Franceline, la Charlotte, la Chérie, l’Annabelle ou la Gourmandine, autant de variétés à chair ferme après cuisson qui rêvent d’accompagner votre sole meunière.  Pour les pommes rissolées ou sautées, les mêmes variétés sont idéales. On peut citer aussi la Belle de Fontenay, une variété ancienne qui se fait rare mais avec un nom pareil il est normal de se faire désirer.

Gardons pour la fin une autre gourmandise : la pomme au four.  C’est une pomme de terre à chair fondante qui se prête à la cuisson en robe  des champs (et non pas en robe de chambre comme on le dit trop souvent), c’est à dire avec sa peau. Personnellement, je ne résiste jamais à conserver la peau pour la fin. Ce petit goût de noisette, comment y résister ? On fait avec ce même type de pommes de terre des purées à damner un saint. Joël Robuchon a immortalisé une purée à base de Rattes du Touquet (et de …beurre) mais on peut très bien la réaliser à base de Samba, Agata, Monalisa ou Melody.  Ces mêmes copines feront le grand saut pour donner un peu d’épaisseur et de velouté à un potage.

La plupart des pommes de terre citées ici sont aujourd’hui lavées et calibrées. Elles ont la peau blonde et fine mais certaines comme la Chérie ont une jolie robe rose. D’autres pommes de terre vous surprendront : la Ratte du Touquet à la saveur incomparable ainsi que la Grenaille.  Mais que dire de la Vitelotte que l’on nomme parfois truffe de Chine, en raison de sa couleur violette noire, peau et chair. J’ai croisé sa cousine chti, la Bleue d’Artois. On fait, entre autre chose, avec ces pommes de terre colorées de très surprenants chips. Citons aussi la Corne de gatte à la chair extra ferme ou encore la Plate de Florenville du nom de son terroir en Wallonie et qui bénéficie d’une IGP.

La fricadelle frites, plus belge que française, popularisée par le film Bienvenue chez les Chtis

La fricadelle frites, plus belge que française, popularisée par le film Bienvenue chez les Chtis

Autant de pommes de terre à découvrir sur vos marchés. A découvrir et à goûter. Il y tant et tant de variétés plus extraordinaires les unes que les autres. D’une rusticité paysanne, elles se font Duchesse ou Dauphine, on en fait aussi des croquettes, des paillassons de pommes de terre qu’assaisonne si bien l’indispensable noix de muscade. Sachez enfin que si ce légume exotique est à la mode, la patate douce n’aurait  rien d’une pomme de terre. Par contre, on peut en faire des frites ou des chips aux couleurs chatoyantes. Attention : la pomme de terre est fragile, il faut éviter de la faire tomber au risque de la blesser. Il faut aussi la stocker à bonne température et ne pas l’oublier…

Pour en savoir beaucoup plus… Histoire, idées recettes, qualités nutritives, etc. etc. etc.

Là haut, dans les Flandres à Wormhout, Jean-Luc Dieusaert, produit chaque année environ 1200 tonnes de Samba, une variété à la peau rustique mais peu sensible aux maladies et en particulier au mildiou. En évoquant ce mildiou de la pomme de terre, comment ne pas se souvenir de la Grande Famine survenue en Irlande  entre 1845 et 1852 ? Chez les Dieusaert, la pomme de terre  est une affaire de famille et de générations successives. Déjà la relève est assurée  avec son fils Jean Georges. Nous les avons suivi tous les deux à travers champs. Le blé, le pois de conserve mais aussi le lin, autant de cultures qui alternées, permettent de prendre soin de la terre et de la ménager. Travaillez, prenez de la peine : C’est le fonds qui manque le moins.  affirmait un laboureur à ses enfants (La Fontaine 1621-1695). Quand on prend une poignée de cette terre grasse des Flandres, on est étonné de son poids et de sa compacité. Il faut une poigne de paysan pour l’émietter. Et l’on comprend qu’un trésor est caché dedans.

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Jean Luc Dieusaert et son fils, producteurs à Wormhout.

 

A Esquelbecq à quelques kilomètres de Wormhout,  Pomuni  France. De la ruralité, on passe aux Temps Modernes. Ici les pommes de terre sont triées, calibrées avant d’être lavées et conditionnées. L’exigence de qualité impose une traçabilité très précise. On trouve sur chaque palox (sorte de palette  où seront stockées les pommes de terre en vrac)  une puce indiquant l’identité du produit, lieu d’origine, nom du producteur, etc.

Des palox superposés contenant des tonnes de pommes de terre mais sur chaque palox une puce permettant une traçabilité sans faille

Des palox superposés contenant des tonnes de pommes de terre mais sur chaque palox une puce permettant une traçabilité sans faille

 

Ici les pommes de terre sont triées, calibrées à très grande vitesse...

Ici les pommes de terre sont triées, calibrées à très grande vitesse…

 

Après le lavage et le séchage, un dernier contrôle qualité à la main.

Après le lavage et le séchage, un dernier contrôle qualité à la main.

Avant son conditionnement, la pomme de terre est entreposée à une température et une hydrométrie précises dans d’immenses salles aux plafonds de cathédrale où les palox sont superposés. Vient ensuite le triage et le calibrage pilotés et contrôlés par des faisceaux optiques qui régulent le flux de pommes de terre. Un premier tamis roulant et vibrant débarrasse le tubercule de son excès de terre. Après cette première étape, la pomme de terre sera lavée à grandes eaux et séchées par de l’air chaud. En fin de chaine, des collaboratrices de Pomoni  effectuent un dernier tri manuel.  Le conditionnement en différents volumes,  sacs, cartons, barquettes micro-ondables, et vrac bien sûr pour les marchés est la dernière étape de notre pomme de terre. Dernière étape ? Non, pas vraiment, la dernière étape, c’est votre assiette.

A gauche, la Bleue d'Artois, et à droite La Ratte

A gauche, la Bleue d’Artois, et à droite La Ratte, au milieu le travail du producteur.

 

Gérard Conreur – La Radio du Goût,  13 octobre 2016

 

NDLR : Pomuni  France livre de nombreuses grandes surfaces Auchan, Carrefour, etc. ou encore des enseignes comme la Pataterie et autres chaines de restauration. Il ne faut donc pas voir la moindre publicité dans les photos prises le jour de notre visite mais le simple fait du hasard.