Balade gourmande en Mayenne (2)

Suite de notre balade gourmande en Mayenne (voir première partie) à la découverte cette fois de quelque chose qui se boit, quelque chose de frais, de joyeux et qui fait pétiller le bonheur : le cidre…

Nous avons découvert Laval, la ville du douanier Rousseau et d’Alfred Jarry,  ville d’art et d’histoire où il fait bon flâner mais ville que nous allons pourtant quitter pour nous enfoncer plus encore dans  la campagne mayennaise qui l’environne, une campagne profonde à l’horizon paisible, au ciel dégagé, à la terre grasse et généreuse dans laquelle chacun de nous plonge encore ses racines. Après Emmanuel Dairou, le pâtissier créatif qui tamponne ses petits beurres mayennais avec passion, le chef Stéphane Louveau  qui procède avec art à L’Alliance des Saveurs ou encore Bertrand Bouflet et son intarissable  passion pour le sureau, place à d’autres personnages attachants qu’il fait bon croiser.

dépendances de la Ferme du Chemin ©GC/laradiodugout.fr

dépendances de la Ferme du Chemin ©GC/laradiodugout.fr

A l’extrême nord de la Mayenne, du côté de Madre, là où le département flirte avec l’Orne normande, se dresse la Ferme du Chemin, une ferme traditionnelle du XVIII° siècle où l’on assistera à la fabrication du cidre à l’ancienne, comme dans le temps jadis. Cette époque où tout se faisait à la main, à la sueur du front, avec des outils simples au manche de bois et que l’on se transmettait de père en fils car ils avaient une grande valeur et il fallait en prendre soin. Le plus dur se faisait à la force du cheval, au rythme des saisons. La seule horloge était celle du ciel pour se lever ou se coucher, prévoir la pluie mais aussi pour guetter le temps des semis ou celui des récoltes. Aujourd’hui, ici même, se trouve un personnage central sans qui cet endroit pourrait perdre une partie de sa mémoire mais aussi et surtout une partie de son âme :  Jean-Yves est le maître des lieux. Il est à la fois paysan, conteur, aubergiste et hôtelier. Il a des histoires à vendre ? Non, à offrir,  à partager comme ce pain de campagne cuit ici même dans le four de ferme et que couronnera une bonne tranche de ce pâté de campagne où figure déjà la pomme.

pâté truffé à la pomme ©GC/laradiodugout.fr

pâté truffé à la pomme ©GC/laradiodugout.fr

Nous sommes loin de ces cuisines vides où l’on recherche le « peps » du Yuzu pour renforcer un met effrontément « revisité » par un chef qui a déserté ses fourneaux pour les plateaux de la petite lucarne magique où l’on épluche de l’audimat, où l’on assaisonne des parts de marché, en soignant son égo.

Des pommes comme s'il en pleuvait ©GC/laradiodugout.fr

Des pommes comme s’il en pleuvait ©GC/laradiodugout.fr

Pour faire du cidre comme on le faisait jadis, il faut d’abord ramasser les pommes tombées sur le sol car si le fruit est tombé, sauf cas de vents forts, ce n’est pas le fait du hasard : la pomme a acquis sa maturité,  ses qualités sont parfaites.

récolte © GC/laradiodugout.fr

récolte © GC/laradiodugout.fr

Il faut donc éviter de gauler les pommes. On ramassera les fruits sains et propres et on écartera bien sûr les fruits abimés ou véreux. Plusieurs types de pommes peuvent intervenir dans la fabrication du cidre. S’agit-il nécessairement de pommes à cidre ? J’ai un petit doute à ce sujet… Au goût, certaines de petit calibre sont acides, d’autres très juteuses, mais d’autres pommiers donnent des pommes bonnes au couteau et à la chair incroyablement parfumée. A l’aspect, elles ressemblent grosso modo pour le citadin que je suis, à des golden mais en bouche elles sont infiniment plus savoureuses. Notre hôte, Jean-Yves, nous avait invités à en  emporter quelque unes et je regrette fort de n’avoir pas suivi son conseil avisé car il est peu probable que je retrouve de telles saveurs.

Caline à la manoeuvre pour le gadage ©GC/laradiodugout.fr

Caline à la manoeuvre pour le gadage ©GC/laradiodugout.fr

Les pommes récoltées rejoignent ensuite l’enfer. Façon de parler ici car la Bible nous parle du fruit défendu qui n’est pas spécifiquement une pomme. L’enfer est un anneau de stockage au centre d’un manège, c’est là que les pommes vont attendre le moment du gadage. Dans une rigole circulaire taillée dans le granit, une roue également taillée dans le granit tirée par Caline, une belle jument de trait, va écraser les pommes pour en faire au bout d’un quart d’heure une purée rougeâtre que le temps va rapidement oxyder.

le gadage est terminé ©GC/laradiodugout.fr

le gadage est terminé ©GC/laradiodugout.fr

La purée de pommes obtenue est alors disposée en couches régulières sur des claies de bois où l’on a étendu une paille de seigle qui filtrera naturellement le jus du fruit.

pommes sur la paille en couche régulière ©GC/laradiodugout.fr

pommes sur la paille en couche régulière ©GC/laradiodugout.fr

Les claies se superposent jusqu’à obtenir environ un mètre ou plus de hauteur, c’est le montage ou formation de la motte qui sera suivi ensuite suivi du pressurage, un dispositif de lourds madriers et de vis taillée dans le bois fera ensuite le reste.

la motte formée, le pressurage peut débuter © GC/laradiodugout.fr

la motte formée, le pressurage peut débuter © GC/laradiodugout.fr

cidre et miche ©GC/laradiodugout.fr

cidre et miche ©GC/laradiodugout.fr

De la pulpe écrasée s’écoule le jus du fruit dont on fera le cidre. Pour la fabrication du cidre, aucune autre levure que celle contenue naturellement dans la pomme n’est nécessaire. Pour obtenir un cidre à la couleur légèrement rosé, le paysan ajoutait généralement de la betterave rouge en plus ou moins grande quantité.

Evidemment ce procédé à l’ancienne n’a plus cours aujourd’hui. Les choses ont bien changé depuis le temps de nos ancêtres. Aujourd’hui, comme pour les vins, on fait des assemblages de plusieurs variétés de pommes. Les fruits sont rigoureusement sélectionnés, triés, lavés, débarrassés de toute impureté, cailloux, feuilles mortes, etc.  Sous l’œil attentif de l’homme dont la main n’intervient pratiquement plus durant le procédé, norme d’hygiène oblige. Les fruits sont ensuite écrasés par la pression d’une membrane sur les parois d’une sorte de citerne. Un peu comme un ballon que l’on gonfle dans un espace clos. La transformation ensuite du jus en cidre relève d’une technicité particulière comparable en certains points à celle du vin. Enfin, le moment venu, le cidre sera mis en bouteille via un camion embouteilleur qui ira de ferme en ferme. Ainsi en est-il du cidre artisanal élaboré aujourd’hui à la Ferme du Theil située à Andouillé à quelques kilomètres au Nord de Laval. Outre les jus de pomme et les cidres, la ferme du Theil propose des poirés, des pommeaux du Maine en AOC, des fines, des Pommé (confiture d’autrefois) mais aussi des vinaigres de cidre. Des visites sont organisées, commentées et suivies de dégustation. Olivier répondra à toutes vos questions.

Que dire de plus pour clore cette balade gourmande trop brève en Mayenne sur une boisson connue depuis l’Antiquité ? La réponse est toute simple : rien ne vaut un cidre artisanal bien sûr, un cidre bouché dans sa bouteille à la façon champenoise avec son bouchon de liège et son muselet. Doux ou Brut, il faut le servir, dit-on parfois, plutôt en verre qu’en bolée, ne serait-ce que pour mieux apprécier sa robe et sa pétillance, à une température d’une dizaine de degrés. Trop frais, il perdrait une partie de ses arômes. Enfin, c’est une boisson naturelle : de la pomme, encore de la pomme, toujours de la pomme.

Gérard Conreur pour la Radio du Goût – novembre 2015

La Ferme du Chemin

La Ferme du Theil

Un grand merci à Jean-Yves et son épouse, Olivier Rouland de la Ferme du Theil, Michel et Mireille.

Après l’effort, le réconfort…

Si vous allez à la Ferme du Chemin, chaussés de bottes vous irez ramasser des pommes et verrez ensuite ce qu’elles deviennent. Et puis, vous entrerez dans une pièce à feu.

le four à l'ancienne de la Ferme du Chemin ©GC/laradiodugout.fr

le four à l’ancienne de la Ferme du Chemin ©GC/laradiodugout.fr

C’était la pièce à vivre unique chez le paysan. Là se trouvait l’âtre qui chauffait la pièce mais aussi où l’on cuisait les plats. De chaque côté de cette cheminée, les lits où tout le monde dormait sur une paillasse couverte d’un édredon de plumes qui donnera son nom au plumard et en face de ce feu de bûches craquantes sous la flamme, la table des repas en bois flanquée de deux bancs où chacun avait sa place et son couteau pour tailler après l’avoir signé le pain de 6 livres.

tourtes succulentes ©GC/laradiodugout.fr

tourtes succulentes ©GC/laradiodugout.fr

Jean-Yves vous invitera à découvrir son four à pain dans un autre bâtiment proche. On y cuisait aussi parfois la volaille ou les tartes ou tourtes de toutes sortes. Le four est toujours en état de fonctionnement et l’hôte des lieux a plaisir à nous confier qu’il y fit cuire un jour plus d’une trentaine de poulets d’une seule fournée. N’oublions pas au passage, l’épouse de Jean-Yves qui a largement participé à notre accueil et préparé les repas. De retour à la table, place à la soupe du paysan, épaisse, riche en légumes de la ferme. Suivra une tourte mayennaise dont la recette est disponible ici.  Figurent aussi en bonne place, les pâtés et charcuteries, mais aussi les fromages du lieu, l’Entrammes en particulier. Tarte aux Pommes pour le dessert et avec le café, au coin du feu, dans une semi-pénombre presque réconfortante, une fine ou un pommeau du Maine.  A coup sûr, il n’y a pas que de la pomme dans ces petits bonheurs.

Qui l’eut cru ! La Mayenne n’avait pas de recette culinaire phare. Désormais, c’est chose faîte à la suite d’un concours de cuisine mené par deux chefs de la région à l’initiative de France Bleu Mayenne.  Revoici la pomme et le pommeau, l’Entrammes et le bonheur de foncer une pâte en se régalant par avance.
la-tourte-mayennaise-attention-photo-radio-france
La recette de la Tourte mayennaise

Ingrédients:
1 paleron de bœuf
4/6 pommes
2 petits Entrammes
4 carottes
4 échalotes
sel, poivre
pommeau
eau, vin rouge
2 feuilles de laurier
2 pâtes brisées

Préparation:
1.Cuire le paleron entier (ou couper en deux) en cocotte avec 2 carottes, 2 échalotes et 2 feuilles de laurier, avec de l’eau et du vin rouge. Laisser cuire à feux doux jusqu’à ce que la viande devienne très molle.
2. Éplucher et vider les pommes, les tailler en brunoise. Faire revenir au beurre sans coloration, puis réserver. Tailler 2 carottes en brunoise et ciseler les 2 échalotes, réserver. Pour l’Entrammes, tailler légèrement le tour de fromage pour enlever la croûte, puis couper en tranches (environ 6 par Entrammes).
3. Une fois le bœuf cuit à l’aide d’une fourchette, effilocher la viande, si elle est bien cuite elle se détache toute seule. Pour une tourte, il vous faudra l’équivalent d’1/2 paleron cuit (n’hésitez pas à laisser un peu de gras sur la viande).
4. Dans une cocotte, faire suer carottes et échalotes, déglacer avec un verre de pommeau, puis ajouter la viande effilochée, saler, poivrer et mélanger bien le tout (si votre mélange est trop sec, vous pouvez ajouter un peu de jus de cuisson du bœuf).Réserver votre mélange.
5. Dans un plat à tourte (hauteur 6/8 cm, diamètre 25/30 cm) placer une pâte brisée dans le fond (en gardant les bords sur la paroi du plat à tourte), placer successivement votre bœuf, vos pommes et vos tranches d’Entrammes. Refermer la tourte à l’aide de la 2ème pâte brisée. Plier les bords de façon à ce que le mélange ne puisse pas sortir. Avec une dorure, vous pouvez badigeonner la tourte.
6. Placer cette dernière au four 180° pendant 20mn, puis à 150° pendant 25mn. À déguster chaud ou tiède avec une salade.

VOIR BALADE GOURMANDE EN MAYENNE (1)