Visite au pays du chocolat Camille Bloch

Et si en matière de chocolat suisse, vous révisiez vos classiques ?

le conditionnement du Ragusa

le conditionnement du Ragusa

Torrefaction © GC

Torrefaction © GC

C’est l’invitation que vous lance Camille Bloch, mon chocolat suisse car de la Suisse, on croit tout connaître : ses gracieux coucous et ses boites à musique en forme de chalets, ses banques, ses montagnes et ses vaches paisibles, ses fromages sans trou, son industrie horlogère, ses fameux bonbons Ricola dont la recette est précieusement conservée dans un coffre, une manie de nos voisins helvètes, des fois qu’elle risquerait de s’envoler.  La Suisse, c’est aussi le pays du chocolat ou plutôt des chocolats. Et là, la patrie de Guillaume Tell ne fait pas dans le demi trognon. Des chocolats de marque et de grande marque mais dont pourtant il ne sera pas question ici. Au contraire, le focus sera pointé résolument sur une entreprise familiale, autrement dit à taille humaine et dont la production de qualité méritait bien le détour.
 

Les fèves de cacao. Document Camille Bloch

Les fèves de cacao. Document Camille Bloch

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, de fracasser la tablette et de croquer dans le carré, la Suisse c’est aussi le pays d’Alain Tanner, grand nom du cinéma, né à Genève et dont on peut retenir d’emblée La Salamandre en 1971 avec Jean-Luc Bideau également genevois et bien sûr Bulle Ogier,  ouvrière d’usine,  Rosemonde, qui fabrique désespérément des saucisses en noir et blanc avec la même conviction que Jacques Tati des tubes en plastique démoniaques mais en couleurs dans Mon oncle. A l’époque du film, trois ans après mai 68, il existait encore des Maisons des Jeunes  avec  des ciné-clubs où ronronnait bruyamment un vieux Debrie 16mm au son optique ou magnétique mais toujours hypothétique. Le cinéma, comme son nom l’indique, ce n’est pas devant une télé ventrue que ça se passe mais sur l’écran sans épaisseur de notre imaginaire.

enrobages des barre © GC

enrobages des barre © GC

Cette page pseudo-intello-nostalgique tournée sans bruit, revenons à ce qui fait la dimension humaine d’une entreprise. C’est d’abord un lieu où on a peu de pas à faire pour aller d’un point à un autre.  Un périmètre qui reste à portée de pieds. Inutile de prendre un vélo, une Land Rover ou un jet pour se rendre à l’autre bout de l’usine. Le plus loin ? La cantine, il suffit juste d’emprunter le passage piétons qui zèbre de jaune  la grand-rue de Courtelary, bourgade modeste qui comme son nom ne l’indique pas ne se situe pas entre Cambridge et Oxford mais au cœur du Jura bernois. Enfin,  ce qui donne la dimension humaine de la Chocolaterie Camille Bloch, c’est son histoire. Une histoire de famille qui chemine de père en fils, de grand-père en petit fils, où chacun se plait à ressembler quasiment  trait pour trait à celui à qui il succède. Les histoires de famille sont souvent bien plus passionnantes que ces courbes de croissance, ces chiffres d’affaires ou autres process industriels, ces innovations technologiques dont on nous saoule.

Tout commence avec Camille Bloch, le grand-père né en 1891, issu d’une famille juive venant de France et installée à Berne depuis le milieu du XIX° siècle. L’une des passions de Camille enfant, c’est la collection des images d’animaux que l’on trouve dans les plaquettes de chocolat Tobler. La légende affirme qu’il ne lui manquait qu’une image, celle du « Loup blanc ». Alors quand à la fin de sa scolarité, le maître annonce à Camille, qu’il a le choix entre deux places d’apprentissage, l’une chez un ferblantier, l’autre chez  Théodore Tobler, le chocolatier, le jeune Camille n’hésite pas une seconde. Son chemin est désormais tracé. Les années passent et Camille gravit les échelons. Il est représentant alors que l’Europe sombre dans la Première Guerre mondiale. Après la guerre, Camille Bloch, excellent vendeur, rêve de monter sa propre affaire et en février 1929, elle est inscrite au Registre du commerce. Il a pu acheter des machines d’occasion à A. & W.Lindt à Berne qui a cessé son activité. Un nouveau signe du destin après l’image du loup blanc de chez Tobler ? De Rodolphe Lindt, industriel fantasque, l’histoire retiendra l’invention du conchage en 1879. Une technique qui consiste à malaxer à température idéale durant trois jours et trois nuits la pâte de chocolat jusqu’à obtenir un chocolat fondant au lieu d’un produit dur et sablonneux. Le procédé, certes abrégé en temps, est toujours en usage. D’autres chocolatiers de renom de la même époque ? Amédée Kohler de Lausanne, inventeur du chocolat aux noisettes, François-Louis Cailler, le premier à mettre au point en 1875 une recette de chocolat au lait utilisant le lait condensé. Même si on utilise aujourd’hui plutôt du lait en poudre, citons encore l’entreprise d’Henri Nestlé qui popularisa ce produit concentré et sucré en Europe puisque son invention est américaine.

1929, c’est évidemment l’année noire du krach boursier de New-York dont les répercussions vont frapper dans les deux, trois années qui suivent le vieux continent. Les exportations de chocolats s’effondrent de 87% et secouent durement les Chocolats Camille Bloch mais la structure encore bien modeste par rapport à de gros chocolatiers permet de limiter la casse. Camille Bloch emploie peu de personnel et vise un marché local occasionnant donc peu de frais de transport. Au milieu de la tourmente financière, le roseau fléchit mais ne rompt pas. Puis la crise s’éloigne. Le milieu des années trente voit l’installation de la fabrique de chocolat Camille Bloch S.A. à Courtelary. Une nouvelle page se tourne.

la fabrique en 1936 ©CB

la fabrique en 1936 ©CB

Montée du  fascisme en Italie, l’Allemagne se couvre de croix gammée, Guerre d’Espagne, Front populaire en France avec la semaine de 40 heures et les premiers congés payés, les accords de Munich en 1938 qui devaient préserver la paix mais sacrifient la Tchécoslovaquie, viendra ensuite l’invasion de la Pologne. Vingt ans après les tranchées de la Der des der et de Verdun, le monde bascule une fois encore dans la guerre mais cette fois l’horreur va dépasser tout ce que l’on peut imaginer.  L’holocauste, la Shoah, des mots qui vont se graver à jamais  dans notre vocabulaire. C’est durant cette période que grandissent les deux enfants de Camille Bloch, Rolf né en 1930 et Robert de sept ans son cadet qui connaitront tous deux un antisémitisme verbal, vexatoire, mais sans commune mesure avec ce qui se passe dans les pays occupés.

Sur le plan industriel et même si cela peut sembler bien dérisoire dans une Europe vouée à toutes les pénuries et à toutes les privations, aux ersatz de toutes sortes, le secteur du chocolat suisse tente de survivre. Mais comment faire ? Comment s’approvisionner en cacao ? En sucre ? Le cours des matières premières a flambé et du fait des hostilités la devise suisse a subi une forte dévaluation. Enfin, comment faire voyager le cacao sur des milliers de kilomètres alors que le conflit s’étend et que les blocus se renforcent ? En 1941, Camille Bloch a pu négocier mais au double du prix d’avant-guerre un dernier convoi de cinq wagons de fèves localisés à Moscou. Les fèves originaires du Ghana traverseront la Russie depuis Vladivostok, la Pologne et l’Allemagne.

Grand Ragusa © camille bloch

Grand Ragusa © camille bloch

D’autres produits échappent aux difficultés d’approvisionnement. C’est le cas des noisettes qui peuvent être importées de Turquie et qui sont riches en matière grasse. 65% et donc bien plus que le cacao. Les noisettes sont torréfiées et transformées en pate à laquelle on associe des noisettes entières, la barre obtenue est recouverte de chocolat. Reste à Camille Bloch à baptiser la nouvelle confiserie. Ce sera Ragusa, tiré de Raguse, le nom ancien de la ville de Dubrovnik où Camille Bloch avait séjourné quelques années auparavant. Nous sommes en 1942 et depuis la recette du Ragusa est pratiquement restée la même… Le produit est proposé en deux saveurs, chocolat au lait d’abord et chocolat noir par la suite. Le Ragusa reste un produit phare de la marque Camille Bloch.

installations actuelles © CB

installations actuelles © CB

Fin des années quarante, début des années cinquante, le Torino voit le jour. C’est une fine tablette de chocolat, fourrée d’un praliné fondant à la crème de noisettes et amandes. Suivra ensuite la gamme Mousse : Extra Lait, Lait et Noir. Mais entretemps l’entreprise a su faire preuve d’innovation avec la spécialité de chocolat au Kirsch. Les chocolats liqueurs ne sont pas nouveaux sur le marché mais cette fois l’entreprise de Courtelary va mettre au point un procédé de fabrication sans croute de sucre et le produit liqueurs sera décliné en plusieurs saveurs : Cognac, Cointreau, Grappa, Kirsch et Williams. En décembre 1970, Camille Bloch s’éteint au moment même où la production s’intensifie naturellement pour les fêtes de Noël. Son fils Rolf prend le relai et tiendra les rênes de l’entreprise pendant plus d’un quart de siècle.

Daniel Bloch  © GC

Daniel Bloch © GC

 En 1997, après plusieurs années au sein de l’entreprise, Daniel Bloch, fils aîné de Rolf Bloch reprend la direction des opérations sous les signes de la continuité et de la modernisation de l’entreprise dans un marché soumis à une très forte concurrence qui sur les plans industriel et commercial s’affranchit souvent de ce qui fait la qualité traditionnelle d’un chocolat digne de ce nom.  Fèves de cacao de premier choix torréfiées dans l’excellence, beurre de cacao, sucre et fourrage de grande saveur, rien d’autre n’est utile au bonheur du goût.

Gérard Conreur. juin 2013 laradiodugout.fr