CAZES MARCELIN

Fondée sous l’enseigne « Brasserie des bords de Rhin » en 1880 par un alsacien du nom de Léonard Lipp, la Brasserie fut reprise en 1920 par la famille Cazes, d’origine auvergnate. A cette époque, il s’agit d’un petit établissement d’une dizaine de tables seulement, mais le succès grandissant de la désormais Brasserie Lipp pousse Marcelin Cazes à s’agrandir rapidement.

En 1926, la Brasserie passe donc de 10 à 90 tables pour accueillir dès lors les « trois clientèles de Lipp » que Marcelin Cazes décrit dans son livre 50 ans de Lipp (éditions La Jeune Parque) : « à midi, des hommes d’affaires, des commerçants du quartier qui voulaient déjeuner dans un endroit calme et sérieux ; de cinq heures à huit heures, des écrivains, libraires, éditeurs, magistrats, artistes qui se réunissent pour bavarder ou se délasser de leurs travaux devant des demis ou des apéritifs : et le soir, le tout Paris. »

A cette époque, la Brasserie Lipp a déjà une solide réputation littéraire, fréquentée notamment par Verlaine et la dernière bohème du Quartier Latin. Au fil des ans, Marcelin Cazes, figure emblématique de la Brasserie, en fit le point de chute de grands noms qui ont marqué la littérature française : Gide, Malraux, Proust, St Exupery, Camus… La Brasserie sera même classée « lieu de mémoire » par le Ministère de la Culture plusieurs années plus tard. En 1935, il se laissa même convaincre de créer un prix littéraire à son nom : le prix CAZES est né.

Cependant, la situation géographique et la vocation gastronomique de la Brasserie Lipp en font rapidement « une sorte de succursale de la Chambre des Députés » et la politique l’emporte peu à peu sur la littérature. Plusieurs générations de chefs d’Etat se sont d’ailleurs succédées sur la banquette attitrée aux politiques, dite du « radiateur », qui se situe devant les cactus de céramique.

Heureusement, M. Cazes a toujours réussi à faire régner une certaine « neutralité » à la Brasserie Lipp, au point de la voir surnommer « la petite Suisse de la rive gauche ». La rumeur prétend même que « les gouvernements se font chez Lipp et se défont à la Chambre ».

« Lorsqu’un plat nouveau fait son apparition sur la carte de Lipp, ce qui n’arrive pas souvent, c’est une affaire d’Etat, que dis-je, c’est un événement international. Jusqu’à Los Angeles et Yokohama, les bonnes gazettes s’en font l’écho. On en parle sur les bancs de l’Assemblée nationale, la nouvelle fait le tour des théâtres de Paris, le tambour de ville des éditeurs et des auteurs diffuse l’information à la ronde. » Jean Diwo, Chez Lipp, éditions Denoël.

Néanmoins, la véritable histoire de la Brasserie Lipp n’est pas uniquement liée aux grands événements de ce monde, mais aussi aux « événements gastronomiques » qui ont marqué l’histoire de sa carte. En effet, le menu de la Brasserie Lipp n’a pas changé depuis plus d’un demi siècle et les modifications y sont si rares qu’elles prennent des proportions considérables. D’aucun prétendront même que c’est un peu comme si « on changeait un article de la constitution ». Retenons les années 1924, avec l’apparition du hareng à la Baltique, 1957 avec la tête de veau et 1961 avec la brandade de morue. Des plats traditionnels, simples et toujours d’une qualité exemplaire, faisant la part belle à l’Alsace et bien sur à l’Auvergne.

« Et depuis, les années passent. Les générations de députés, d’hommes de lettres, d’artistes se succèdent chez moi ; quelques vieux habitués que j’ai connus tout jeunes sont toujours fidèles et se plaisent à évoquer leurs souvenirs d’autrefois. Je sais qu’ils aiment cette maison immuable. » Marcelin Cazes

Chez Lipp, même si la venue de personnalités est scrupuleusement consignée chaque soir depuis 1955 dans le livre des personnalités et vedettes, on accorde un soin encore plus particulier aux clients habitués. Chacun y a sa table de prédilection (car « chez Lipp, on ne réserve pas sa table, on se la fait attribuer »), ses plats préférés (ce fut par exemple le hareng Bismark pour Edouard Herriot, la choucroute pour Léon Blum ou la tête de veau ravigote pour Jacques Chirac), ou ses petites habitudes…

La Brasserie LIPP est aussi connue pour être longtemps restée une véritable école de savoir-vivre. En effet, Marcelin Cazes a instauré de véritables règles de bienséance chez Lipp : interdiction de tomber la veste, obligation d’attaquer un millefeuille par la tranche pour éviter les débordements de crème, interdiction de fumer la pipe… Il n’hésitait d’ailleurs pas à utiliser sa fameuse « cloche » pour calmer les esprits qui s’échauffaient un peu trop ! Aujourd’hui encore, interdiction formelle de téléphoner et bien sur, pas question de servir du Coca ! Les clients auront aussi pu noter que le service, certes irréprochable, est exclusivement masculin, car une clause du bail datant de 1880 interdit l’embauche « des filles de brasserie ». Autant d’anachronismes qui rendent ce lieu des plus attachants.

Derrière cette façade en acajou verni, se cache donc une maison plus que centenaire, reprise progressivement depuis 1990 par la famille Bertrand qui se fait un devoir de perpétuer la tradition, profondément marqué par ses racines auvergnates.

Pour preuve, la Brasserie Lipp abrite aujourd’hui encore tout le monde politique, journalistique, littéraire et artistique que compte Paris. Bien calé au plus profond d’une banquette devant un traditionnel « plat du jour », vous pourrez y croiser le regard d’Albert Cossery, Jorge Semprun, Laurent Terzieff, BHL mais aussi Jack Nickolson, Sophia Coppola, Azzedine Alaïa, Jean-Paul Gaultier, Jean-Paul Belmondo ou Benjamin Biolay… En effet, tous apprécient ce lieu chargé d’histoire où le temps semble s’être arrêté depuis bien longtemps.

1935-2006, l’histoire du prix Cazes

Comme il avait une clientèle très « intellectuelle », Marcelin Cazes eut l’idée en 1935 de créer un prix littéraire qu’il décernerait chaque année au mois de mars et qu’il dotait à l’origine d’une somme de deux mille cinq cents francs.

Le candidat devait réunir certaines conditions : il ne devait pas être âgé de plus de quarante ans et n’avoir jamais reçu de prix. Le jury, composé de douze membres et présidé par André Salmon, se réunissait à midi, votait, puis était invité à déjeuner par la Brasserie Lipp ainsi que le lauréat – « qui n’était jamais introuvable ni même bien loin »- et quelques courriéristes littéraires.

La première année, le prix fut attribué à … une compagnie théâtrale, Le Rideau de Paris de Jean Marchat et Marcel Herrand, deux jeunes comédiens metteurs en scène. Les lauréats suivants, véritables écrivains, devinrent souvent des auteurs à succès.

En effet, le prix Cazes servait à l’époque de « tremplin » car plusieurs lauréats obtinrent par la suite le prix Goncourt, le prix Femina ou Interallié.

En 1936, le prix fut décerné au poète Pierre Albert-Birot ; l’année suivante, ce fut Thyde Monnier qui l’obtint pour La rue Courte, en 1938 Kléber Haedens avec L’école des parents, en 1939 Marius Richard et en 1940 André Cayatte avec Le Traquenard… Il n’y eut pas de prix décerné en 1941 et 1945, c’est pourquoi en 1946, trois prix ont été attribués à Jean Louis Curtis, Olivier Séchan et Jean Prugnot.

Olivier Séchan est d’ailleurs aujourd’hui encore membre actif du jury du Prix Cazes, 60 ans après avoir lui-même reçu le Prix pour Les chemins de nulle part.

En quelques années, le prix Cazes est devenu « l’événement littéraire du printemps » (contrairement aux autres grands prix, remis à la rentrée) qui mobilisait le monde littéraire et journalistique parisien.

L’année 1950 devait marquer l’histoire du prix. En effet, cette année là, Marcelin Cazes décida de décerner le prix qui porte son nom dans sa maison natale de Laguiole. Il organisa pour cela un voyage en car au départ de Saint Germain des Prés, le 24 mai 1950, avec à son bord 35 journalistes, courriéristes, membres du jury et amis. Un périple, sûrement plus gastronomique que littéraire, qui dura 5 jours et couronna de lauréat Marcel Schneider pour son roman le Chasseur vert.

Depuis 1950, le prix Cazes, toujours décerné chaque année au mois de mars, a couronné le talent de nombreux auteurs pour leurs romans, essais, biographies, mémoires ou recueils de nouvelles : de Solange Fasquelle (1961) à Jean Claude Lamy (2003), en passant par Michel de Grèce (1970), José-Luis de Villalonga (1971), François de Closet (1974), Cavanna (1979), Olivier Todd (1981), Edgar Faure (1983), Jean Paul Aron (1985), Jean Marin (1995), Jean-Paul Enthoven (1997), Clémence de Bieville (1998), Shan Sa (2001), Gérard de Cortanze (2002), Béatrice Commengé ou Georges Suffert (2004) pour ne citer qu’eux…

En 2005, le prix Cazes a été décerné à Françoise Hamel pour son roman Fille de France.

Le jury est du prix Cazes est composé de :

Mme Solange FASQUELLE (Présidente)

Mme Dominique BONA

Mme Christine JORDIS

Mr André BOURIN

Mr Georges-Emmanuel CLANCIER

Mr Claude Michel CLUNY

Mr Gérard de CORTANZE

Mr Guy DUPRE

Mr Franz-Olivier GIESBERT

Mr Claude MOURTHE

Mr Eric ROUSSEL

Mr Joël SCHMIDT (Secrétaire)

Mr Olivier SECHAN

Le lauréat se verra remettre une récompense de 4000 euros ainsi qu’une table ouverte à la Brasserie Lipp d’une valeur de 800 euros. Il recevra également un Jéroboam de Champagne Jacquart.