Dès que sa bouche fut pleine

Des-que-sa-bouche-fut-pleineTout au long de ce premier roman, l’écrivaine se plait à fondre notre monde dans celui de la censure culinaire. Sa première victime, une certaine « madame Reine Claude », connue pour « avoir dirigé pendant près de vingt ans un réseau de cuisine clandestine”, et arrêtée par la brigade des mets. Des lubriques « food shops » aux vidéos pour adultes de « cookhub », en passant par les sites de rencontres, c’est toute une économie du plaisir que la jeune romancière transpose avec humour. Sans faire l’impasse, en bonne lectrice de Roland Barthes (Mythologies, 1957), sur le jeu de cache cache des fiches de cuisine du magazine « Elle » où le nappé qui recouvre les plats les cache et en fait une cuisine pour l’’oeil, ornementale, simplement destinée à faire rêver les lectrices qui ne réaliseront jamais les plats en question.
La romancière présente un monde où la place du sexe et celle de la nourriture sont inversées, le sexe rythme les journées de tous, tandis que la nourriture est une affaire de l’intime, d’amants, qu’il faut taire et qui fait rougir. Il raconte l’histoire d’une jeune femme, entraînée malgré elle par son désir interdit, un désir qu’elle transformera en une force intérieure capable de la défendre contre toute forme d’aliénation.
Avec cet ingénieux tour de passe-passe, Juliette Oury intervertit les rôles pour mieux moquer et dénoncer les tabous qui pèsent encore sur la sexualité. le tout en 272 pages livre un premier roman d’apprentissage fort réussi et original qui cuisine le désir (éros). « Dès que sa bouche fut pleine » questionne avec un zeste d’humour sur notre rapport ambigu et ambivalent au désir qui cuisine notre sensualité. Comment découvrir son propre plaisir, le cultiver et s’affranchir du cadre strict défini par la société ?
Un long chemin initiatique à parcourir pour Laetitia. D’abord réservée et sceptique, elle se laisse peu à peu gagner par son désir, d’un cours de cuisine à l’autre. Au fil de ses rencontres, la jeune femme repousse un peu plus ses limites, s’émancipe et se rapproche du graal : « le goût, le plaisir, la puissance ». Mais Juliette Oury n’en oublie pas le coût de la liberté : pour Laetitia, la découverte de l’interdit s’accompagne aussi d’une stigmatisation, voire d’un rejet de la part de ses proches. Le prix de sa liberté.
Christian Duteil/ La Radio du Goût/ août 2023
Dès que sa bouche fut pleine 
Auteure: Juliette Oury
Editeur: Flammarion 
272 pages 
Prix:19€
Parution : 23 août 2023
ISBN: 978-2-08-042980-3