« Chef »

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La fiction romanesque se conjugue ici avec la réalité dans ce roman à clef et tient du parcours fléché et mortifère en cuisine. Un chef triplement étoilé et mondialement connu, Paul Renoir, 62 ans, qui tenait « Les Promesses » au-dessus du lac d’Annecy, a mis fin à ses jours avec son fusil de chasse… comme Bernard Oiseau, à Saulieu. Ses pairs, nouveaux Tartuffes de derrière les fourneaux, font semblant de le pleurer pour donner le change à leur riche clientèle ; mais concurrents d’hier, ils n’oublient pas de réclamer leur part du gâteau.
Tandis que ses héritiers se déchirent sur les dettes astronomiques autour de cet héritage du « chef » disparu. Et que sa veuve, glaciale et pragmatique, se console vite en encourageant le sous-chef à relever le défi de rouvrir vite « Les Promesses » et de garder leurs étoiles dans le ciel du Guide (comprenez : le Michelin), surnommé « Dracula » depuis qu’il a fait tomber Paul Bocuse de son piédestal. Elle choisit de leur annoncer une nouvelle (page 262) qui va provoquer un tsunami au pays de « Top chef ». Ce soir-là, dans l’assistance de toqués, entre le trio étoilé Georges Blanc, Alain Passard et Jean-François Piège, s’est glissé « un écrivain ébouriffé qui, sous prétexte d’écrire le roman vrai de la gastronomie française, cherche à s’envoyer quelques coupes gratis ».
« Chef » se cogne encore et toujours au réel. C’est un secret de polichinelle ébouriffant qui décoiffe ce petit monde toqué de la gastronomie. Il s’agit de l’infiltré démasqué Gautier Bastistella, Toulousain de 45 ans qui, après avoir collaboré à Pékin pour l’agence de presse Chine Nouvelle, a travaillé pendant 15 ans à Paris pour son équivalent culinaire, le Guide Michelin. Sa connaissance intime de ce monde impitoyable et opaque de la haute gastronomie où tous les coups sont (presque) permis et où les insultes fusent de partout lors du « coup de feu » dans les brigades, lui a inspiré ce livre choral à plusieurs voix.
Avec, en must, le portrait d’une grand-mère, amie de la célèbre Eugénie Brazier, qui enseigna à son petit fils Paul Renoir, né à la ferme, le goût simple des bonnes choses, de la brouillarde aux truffes t al poularde demi-deuil. C’est là que réside le secret de Renoir, peintre-cuisinier du passé qui a su rester authentique et simple dans notre société m’as-tu-vu du spectacle qui se prend bien trop au sérieux et se juge incontournable, sinon indispensable… et ceci jusqu’au cimetière avec pour épitaphe : « Ci gît quelque chose qui fut quelqu’un »

Christian Duteil/ mars 2022/laradiodugout.fr

« Chef »
Auteur: Gautier Battistella
Editeur: Grasset
336 pages
Prix: 22 €
Parution: mars 2022
ISBN: 978-2-246-82117-5