Des desserts avec Le Lectier, la poire de Niigata

© C;Duteil

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Tout commence au Japon il y a un peu plus d’un siècle, en 1905, lorsque l’agriculteur Sokichi Koike, chef de village de Shirone, décide de rapporter d’Orléans des plants de poirier Le Lectier. Un pari ambitieux et risqué, voire insensé, car cette variété de poire est connue pour être difficile à cultiver et donc à être rentable… à tel point qu’elle n’était au début consommé que par ceux qui la cultivaient.
Mais les recherches horticoles de Koike et de nombreux agriculteurs de Niigata, à 300 km de Tokyo, ont permis de développer les techniques de maturation qui rendent aujourd’hui cette variété exotique si savoureuse et aussi appréciée des gourmands avertis. Les poires Le Lectier (qui pèsent entre 300 et 400 g l’unité) gagnèrent vite en réputation et firent leur apparition comme dessert dans les restaurants traditionnels japonais de luxe dit « ryotei ».
La région Niigata bien irrigués par les rivières Shinano et Nakanokuchi, en produit aujourd’hui 2030 tonnes, soit 85% de la production domestique. La maturation après récolte s’étend en principe sur une période de 40 à 45 jours, ce qui est plus long que pour les autres variétés. Elle est mûre lorsque sa peau passe du vert au jaune vif et exhale tout son parfum. Il faut alors la déguster sans tarder mais il est possible de ralentir le processus de maturation en conservant la poire au réfrigérateur.
Comme l’écrit en 1921, Ulysses Prenais Hedrick dans son recueil « Pears of New York », « Par la taille et la beauté de ses fruits, un poirier Le Lectier surpasse la plupart de ses concurrents. Et la qualité est de premier ordre lorsque les sols et le climat dans lesquels la variété est cultivée sont adaptés ». Sans oublier que la culture minutieuse de la poire Le Lectier réclame presque une année entière de soins vigilants et beaucoup d’espace lors de sa longue période de maturation. Les expéditions sont limitées à certains jours fixes et seulement de fin novembre à début janvier. Le fruit récolté en octobre en devient à ce point rare et précieux.
De nos jours, cette fameuse variété de poire n’est d’ailleurs presque plus cultivée en France. Ce qui n’a pas empêché Yuga Makinen, jeune pâtissière professionnelle d’origine japonaise qui habite en région parisienne, de goûter pour nous lors de la présentation à Paris, le 10 décembre dernier, trois desserts originaux concoctés avec Le Lectier (photos). Elle a bien apprécié la mise en valeur de son « goût suave, au parfum doux sans trop d’acidité » qui la rend sans doute unique en son genre.
Le bouche à oreilles et les échanges humains chaleureux autour de la poire Le Lectier ou « Lokuchi » comme l’appelaient les geishas de Niigata qui étaient incapables de prononcer ce mot , ont aussi contribué à façonner un récit mythique à grand renfort d’anecdotes aussi pittoresques que savoureuses autour de cette variété de poire pas comme les autres et si difficile à produire, d’où son surnom de « poire fantôme » au Japon.

Christian Duteil/décembre 2018/laradiodugout.fr